«Eux» et «nous»: ce qui nous rassemble, ce qui nous sépare

15.06—22.06.19

Exposition

  • U+00E9-000

    Lettre min. latine e accent aigu

  • Téléssonne ◢ les essonniens passent à la télé

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«Eux» et «nous»: ce qui nous rassemble, ce qui nous sépare
Clémence de Montgolfier

Avec le Relais Assistantes Maternelles de Cheptainville, l’École maternelle Eugénie Cotton de Brétigny-sur-Orge, l'Accueil de loisirs Mik’Ados de Brétigny-sur-Orge, le Collège Blaise Pascal de Villemoisson-sur-Orge et le Lycée Léonard de Vinci de Saint-Michel-sur-Orge.

Collaborateurs artistiques: Sacha Béraud et François Dézafit.

Navette gratuite le samedi 15 juin. Rendez-vous à 14h30 au 104 avenue de France, 75013 Paris (métro Bibliothèque François Mitterrand). Réservation indispensable: reservation@cacbretigny.com

Cet évènement sera accompagné de la présentation de l'édition Co-création et des oeuvres in situ de Géraldine Longueville et Sean Raspet.

 

En octobre 2018, je commençais à rencontrer les groupes et les intervenant.e.s intéressé.e.s pour prendre part au projet «Eux» et «nous» imaginé pour des publics sur les territoires de Cœur d’Essonne Agglomération autour du CAC Brétigny. Ce projet s’inscrivait dans un désir de reposer la question de «ce que parler veut dire»1 développée au sein du collectif The Big Conversation Space2 , à l’heure d’une prolifération des discours aussi bien émancipateurs que haters. Ce titre a touché chez chacun.e des préoccupations spécifiques et quotidiennes: pour un relais assistantes maternelles, les interactions entre adultes et enfants; pour une classe petite et moyenne section d’école élémentaire, l’apprentissage de la vie avec les autres; pour des jeunes entre 9 et 13 ans, les discriminations, le harcèlement, leur place au sein d’une famille parfois recomposée ou fragmentée; pour des élèves de terminales prêts à passer le bac, comment trouver sa place dans un monde complexe. Conçu en deux temps, le projet, fondé sur la conversation comme processus artistique, a d’abord pris la forme de groupes de parole animés grâce à des cartes de questions co-écrites avec les enseignantes et intervenantes au sein de chaque structure. La problématique du sentiment d’appartenance et de séparation, de ce qui constitue un «nous» par différenciation avec un «eux» a été répartie entre six thèmes non-exhaustifs, six domaines de la vie où elle se fait sentir: la famille, les relations avec les autres et les émotions, le masculin et le féminin, les géographies et territoires, la vie sociale et enfin la vie politique. Comme dans une thérapie de groupe, chacun peut parler sans être interrompu ni jugé et «dire ce qu’il veut», sur des sujets qui peuvent être parfois clivants ou sensibles. Il faut prendre soin de laisser la parole et de respecter aussi les silences. Comme dans le principe de la psychanalyse, écouter, c’est laisser à l’autre la possibilité de s’entendre formuler ses idées et les dire à voix haute, comme un acte performatif3. Ce mode de discours a permis, progressivement, d’entrer dans une autre relation entre élèves et enseignantes, jeunes et animateurs, artiste et publics collaborateurs, moins verticale et permettant parfois de quitter pour un temps son rôle habituel: ici il n’y a pas de réponse correcte ou incorrecte et l’on ne cherche pas à convaincre l’autre mais à comprendre son point de vue, à savoir «d’où il parle». 

À l’issue des groupes de parole, les participants ont ensuite pensé, chacun en fonction de leur âge et du contexte de l’atelier, un média collaboratif de leur choix, qui soit représentatif du groupe: une vidéo où des drapeaux montrant des affirmations et des phrases sont lues, une webradio où les expériences de chacun sont racontées, un blog où les questions et les mots sont mis en images, un journal documentant des activités créatives réalisées à plusieurs. En parallèle, une collaboration avec le graphiste François Dézafit et le programmeur Sacha Béraud a permis de concevoir une plateforme en ligne, comme un média collectif global, rassemblant, mettant en regard et conservant l’ensemble des projets. La fabrication d’un média devient le lieu d’une réflexion sur la représentation de soi et du groupe. Sont transmises une expérience et un processus vécus par le groupe à d’autres publics. Les médias, comme «ce qui crée un lien entre nous et le monde»4 peuvent alors devenir des lieux pour penser soi et l’autre comme étant également complexes et pluriels. 
La restitution de ce projet de création collective présenté au CAC Brétigny donne à voir dans l’espace les différents médias produits avec les participants (comme un lancement marquant leur publication et leur mise à disposition des publics): journal, vidéos, pièces sonores, blog. La diffusion de ces matériaux qui s’adressent à d’autres, hors du groupe, a amené chacun à se demander ce que l’on veut transmettre de soi dans un espace collectif, et ce qui, finalement, dans l’expérience individuelle relève d’un commun. Les objets, documents et supports ayant servi de médiateurs dans l’expérience artistique proposée (cartes de questions, album jeunesse, drapeaux réalisés par les élèves) témoignent du processus tout en invitant les visiteurs à s’en saisir et à les réactiver. Les cartes postales, flyers et affiches issues des médias produits et mis à disposition des visiteurs en libre-service participent à la dissémination d’une réflexion collective.

Le contexte politique a résonné intensément avec les échanges tout au long de ce projet entre 2018 et 2019, montrant un sentiment d’urgence à reposer la possibilité de former, même temporairement, un «nous» inclusif. Les questions de départ ont lancé des discussions portant aussi bien sur la vie personnelle de chacun.e que sur des problèmes plus structurels dans la société. Elles nous ont montré que «le personnel est politique», comme l’ont chanté plusieurs activistes féministes5 autour de 1970. Ce qui me rappelle une phrase d’Edward Saïd sur l’altérité: «[…] Le plus grand but est en fait de devenir quelqu’un d’autre. De transformer une identité unitaire en une identité qui inclut l’autre, sans supprimer la différence.»6 Le processus artistique même du projet a tenté de mettre en pratique ce principe: travailler ensemble, prendre des décisions collectives, accepter de laisser les autres faire, incorporer des idées de chacun.e, prendre part à sa mesure. Travailler avec ceux et celles que l’on ne connaît pas encore, certain.e.s pour qui parler ou communiquer n’est pas facile, certain.e.s pour qui la langue française n’est pas donnée mais acquise avec volonté et efforts, certain.e.s qui ont préféré s’exprimer dans leur.s autre.s langue.s. Loin de prétendre avoir résolu cette question de ce qui nous rassemble et de ce qui nous sépare qui anime si vivement et parfois violemment nos sociétés, dans ce projet, des expériences et des tentatives collectives ont été faites pour lui laisser une place entre nous.

Clémence de Montgolfier (The Big Conversation Space)

Notes
[1] Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire: L’économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, 1982.
[2] The Big Conversation Space est un collectif artistique franco-américain né en 2010, composé de Niki Korth et Clémence de Montgolfier.
[3] Un acte performatif est, selon John Austin, un acte qui se réalise par une parole, d’après John Austin, Quand dire, c’est faire, Points essais Édition., Paris, 1991.
[4] D’après Daniel Bougnoux, Sciences de l’information et de la communication, Paris, Larousse, 1993.
[5] L’origine exacte de l’expression n’est pas déterminée, et est le titre d’un essai féministe de Carol Hanisch publié en 1969, The Personal is Political.
[6] Edward Saïd à propos de son ouvrage Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident (1978), dans une interview télévisée datant de 1998.

«Eux» et «nous»: ce qui nous rassemble, ce qui nous sépare est mis en œuvre dans le cadre de la résidence-mission portée par le CAC Brétigny . Cœur d’Essonne Agglomération engage en 2017 pour trois ans un partenariat avec la Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France et l’Académie de Versailles par la signature d’un Contrat Local d’Éducation Artistique, en partenariat avec le département de l’Essonne. Cette résidence-mission est menée en faveur des habitants du territoire, et plus particulièrement de la jeunesse, à partir d’un réseau d’établissements scolaires, d’associations et de structures culturelles, sociales, socioculturelles, économiques et éducatives de Cœur d’Essonne Agglomération. 

Clémence de Montgolfier (née en 1987) vit et travaille à Paris. Après un DNSEP obtenu à l’École des beaux-arts d’Angers en 2011, elle soutient une thèse de doctorat en sciences de la communication en 2017 à l’Université Sorbonne-Nouvelle (Paris III), portant sur la représentation des mondes de l’art contemporain à la télévision. Artiste, chercheure et enseignante, elle a été membre du groupe de performance Speech and What Archive de 2009 à 2013 initié par les artistes A Constructed World. Depuis 2010, elle forme avec Niki Korth (née en 1987, vit et travaille à San Francisco) le projet The Big Conversation Space, où elles s’interrogent sur la circulation des discours à travers les technologies contemporaines, et notamment sur leur production, leur reproduction et leur devenir incertain. Elles créent des conversations, des performances, des publications, des jeux, des documents et des programmes vidéos ou plateformes médiatiques qui cherchent à créer des relations entre les individus. Elle a publié des articles dans des revues et ouvrages scientifiques et participé à un certain nombre de colloques, d’expositions et de résidences en France et à l'étranger, notamment à Triangle France, Marseille; à La Panacée, Montpellier; au Salon de Montrouge, Paris et à l'Ateljé Matts Liederman, Stockholm.

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