Futomomo

29.01—30.03.19

  • U+0054-002

    Lettre maj. latine T

  • L⌇I⌇T⌇E⌇R⌇I⌇E⌇ de l’essonne

    Logotype

  • s.n. [Literie de l’Essonne]

    Impression noire, 1,7 × 1 cm

  • Annuaire de l’Essonne, p.274

    1980

Sylvie Auvray
Anne Bourse
Xinyi Cheng
Mathis Collins
Jean-Alain Corre
Than Hussein Clark
Cameron Jamie

Commissariat: Franck Balland
Avec la collaboration de Jean-Alain Corre

 

Un des enjeux du CAC Brétigny est de proposer une programmation profondément hétérogène où les styles se croisent sans se ressembler, où les formes se télescopent, transformant l’espace d’une exposition à l’autre.

L’envie d’inviter le commissaire Franck Balland est née de son désir à lui pour des peintures, sculptures, photographies, ou tout autre support de production, dans lesquels apparaissent la matière de l’œuvre et la patte de l’artiste. Les expositions que Franck Balland a pu mener à Tlön à Nevers, dans les espaces étranges du Hors les murs au Parc Saint Léger ou ailleurs, comme commissaire indépendant, dégoulinent d’odeurs, de peintures, de bruits, de mouvements. Même le vide y devient corps. Et c’est ainsi que se construit l’exposition Futomomo au CAC Brétigny, avec en vague de fond le plaisir de voir et de ressentir.

Futomomo réunit des artistes français et internationaux qui expriment une fascination pour les objets domestiques et quotidiens. Plus que de simples témoignages de l’emprise de la société de consommation sur nos vies contemporaines, ces objets rendus corporels et attirants éclairent les liens que nous entretenons à notre environnement matériel. Issues d’une grande variété de médiums, tels que l’installation, la peinture, la céramique, le textile et le mobilier, les œuvres présentées prennent place au sein d’une scénographie qui transforme radicalement l’espace d’exposition en un temple ou une cabane dans laquelle les artistes mêlent leurs pratiques.

Inscrite dans le cycle Altérisme, Futomomo pose l’altérité radicale de l’objet à sa source et propose une rencontre charnelle avec des œuvres fortes et majeures de la production contemporaine actuelle. Ci-dessous, Franck Balland nous raconte les enjeux qui l’animent et qui ont sous-tendu la construction de cette exposition.

Céline Poulin, directrice du CAC Brétigny

 

La scène se passe dans la banlieue de Montgomery, la capitale de l’Alabama, un État du Sud qui compte parmi les plus religieux des États-Unis. Deux jeunes hommes noirs en débardeurs blancs, tatoués, fines chaînes dorées au cou, dansent langoureusement en chaussettes sur l’épaisse moquette écrue d’un pavillon coquet. Autour d’eux: les meubles vernis sont garnis de bibelots et photos de famille, les fauteuils recouverts de tissus pastels encadrent la cheminée en marbre et, à la cime de l’arbre de Noël, se hisse la bannière étoilée du drapeau américain. Dans ce salon très middle-class, où les croix catholiques s’alignent soigneusement au mur, un des garçons s’approche lentement d’un guéridon. Son doigt glisse délicatement à la surface du bois brillant, caresse le pied du petit meuble et remonte jusqu’à la tablette où il effleure les objets qui y reposent. Au rythme de la musique de Sonic Youth, de la voix éraillée de Kim Gordon répétant «You’re so close, close to me…», les deux adolescents se rejoignent, se dandinant côte à côte vers une banquette brodée de motifs floraux. Là, les mains solidement agrippées aux accoudoirs, les genoux légèrement fléchis, ils font onduler leurs corps dans un va-et-vient sensuel et suggestif.

Le film Massage The History (2007-2009), dont je viens de présenter un extrait, a été réalisé par Cameron Jamie au moment où celui-ci étudiait la manière dont les gangs documentaient leurs délits sur Internet. Depuis longtemps fasciné par les mythes et les rituels—principalement subversifs—qui unissent les communautés, l’artiste américain tomba au cours de ses recherches sur une vidéo qui en bouleversait les codes de représentation habituels. Loin de certains clichés virils et agressifs, on les découvrait, par groupe de trois ou quatre, effectuer des chorégraphies lascives dans des intérieurs cosys de l’Alabama, se trémoussant autour d’éléments de mobilier (tables basses, canapés, lits, commodes…) comme s’ils tentaient de les séduire. Pour quelles raisons précisément? De l’aveu même de Cameron Jamie, rien n’est très sûr. Cette pulsion libidinale vers les objets évoquerait selon lui tout autant certains cultes tribaux qu’une forme originale et collective de fétichisme provoqué par ces environnements domestiques, iconiques des classes moyennes américaines.

Dans un article intitulé «Éloge du fétichisme», récemment publié dans les colonnes du journal Libération, le philosophe Paul B. Preciado note que l’érotisation des objets représente «la version la plus poétique et conceptuelle» de l’histoire sexuelle de l’humanité. Il faut dire que le répertoire des choses sur lesquelles les désirs se cristallisent a de quoi étonner, allant des classiques chaussures, aux larmes, voire même aux ouragans. Ramenée au champ de l’art, cette expression trouve des échos variés. Le fétichisme désignera—parfois avec un léger dédain de la part de ses détracteurs—une attitude sacralisante à l’égard des œuvres auxquelles on prête un pouvoir suprasensible. Il s'agirait ainsi de voir dans les objets d'art plus qu'une simple manifestation matérielle, mais d'admettre qu'ils transcendent cette condition en adoptant une haute valeur symbolique. Plus occasionnellement peut-être, ce sera à travers la plasticité même des œuvres ou par ce qu’elles représentent que se devineront des phénomènes d’attraction à l’égard des choses. Dans une perspective plus psychologique, il faudra évaluer leur caractère de fétiches en tant que véhicules ou cibles mêmes de l’expression des désirs.

Si ces deux tendances se retrouvent a priori entremêlées dans «Futomomo», c'est probablement sur ces questions de matières désirables et de représentation que s'est concentrée l'envie de faire émerger cette exposition entre les murs du CAC Brétigny. D’une part parce que celle-ci s’est construite avec l’étroite collaboration de Jean-Alain Corre, dont le travail explore une certaine sensualité des formes et des matières tout en trahissant la manière dont un environnement domestique peut se trouver érotisé. D’autre part, parce que, comme Cameron Jamie, notre attention a été retenue par les travaux d’artistes dont le traitement des objets quotidiens suggère parfois leur rôle ambigu—comme si ces derniers dissimulaient par leur présence, pourtant terriblement banale, les enjeux secrets d’une relation à l’autre ou au monde.

Il ne me reste alors plus qu’à vous dire un mot sur le titre de ce projet, emprunté à la langue japonaise. «Futomomo» signifie littéralement «grosse cuisse». Dans le shibari, une pratique érotique qui consiste à suspendre le corps de son partenaire par l’usage de cordes, le futomomo est un type de nœud particulier, destiné à la jambe. Emprisonnant la cuisse et le tibia de son passage répété et méthodique, la corde exerce sur la peau une pression telle que s’y dessine une succession de bourrelets. C'est cette relation spécifique entre l'objet, le corps, et l'expression des désirs parfois complexes qui les unissent que cette exposition souhaite mettre à jour à travers le spectre déformant de l'art contemporain.

Franck Balland

 

Franck Balland est critique d’art et commissaire d’exposition indépendant. En 2011, après deux années passées au sein du service des publics de l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne, il rejoint l’équipe du Parc Saint Léger, centre d’art contemporain de Pougues-les-Eaux, où il occupa jusqu’en 2016 le poste de chargé de la programmation Hors les murs. En 2017, il fut manager de la galerie Marcelle Alix, Paris. En parallèle de ces activités, il cofonda en 2014 Tlön, un espace d’exposition en vitrine situé à Nevers. Ancien membre du comité de rédaction de La Belle Revue, il a été publié dans différentes revues (Horsd’œuvre, zéroquatre, Semaine, El Flasherito, artpress…) et catalogues. Parmi les expositions qu’il a récemment proposées, on peut citer celle de Tiziana La Melia, «Broom Emotion», à la galerie Anne Barrault (Paris) en 2017, ainsi que «It’s All Tied Up in a Rainbow», de Morgan Courtois, à Passerelle (Brest) en 2018. Il fut co-commissaire de l'exposition collective «Je t'épaule tu me respires» à la galerie Marcelle Alix (Paris), également en 2018.

Sylvie Auvray (1974, France) vit et travaille à Paris. Formée aux Beaux-Arts de Montpellier et à la City & Guilds de Londres, elle réalise essentiellement des sculpture, bijoux et assemblages. Puisant ses références dans la culture populaire autant que dans les mythologies, son travail explore les notions d’étrangeté, à travers l’expérimentation constante des matières et des formes, ainsi que par son intérêt répété pour les masques qui hantent sa production. Son œuvre a été exposée au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, au Palais de Tokyo, au Centre Pompidou (Paris), au frac Champagne-Ardenne en 2011, au MAMCO à Genève en 2012, au Consortium (Dijon) en 2015 ainsi que dans la galerie Chantal Crousel (Paris). Elle est représentée par la Galerie Laurent Godin (Paris).

Anne Bourse (1982, France) vit et travaille à Paris. Diplômée des Beaux-Arts de Lyon, la production d'Anne Bourse se déploie sur différents médiums comme le dessin, la peinture et la sculpture majoritairement textile. À travers ces formes, elle entremêle dans un va-et-vient continu fragments biographiques et références à l’histoire de l’art. Son travail a été présenté au Parc Saint Léger (Pougues-les-Eaux) en 2015, à Mains d’Œuvres (Saint-Ouen) et au Centre International d’Art et du Paysage (Vassivière) en 2016, à la galerie Florence Loewy (Paris) en 2017 et plus récemment à Pauline Perplexe (Arcueil) aux côtés de celui de Jean-Alain Corre.

Xinyi Cheng (1989, Chine) vit et travaille entre Shangaï (Chine) et Paris. Formée à la sculpture en Chine, elle part très tôt étudier la peinture aux États-Unis, avant de rejoindre le post-diplôme de la Rijksakademie van beeldende kunsten d’Amsterdam. Nourri par l’imaginaire masculin occidental, son travail met en scène une intimité où s’entremêlent douceur et pudeur, mais aussi, parfois, grotesque et perversion. De ses tableaux aux couleurs diaphanes se dégage une atmosphère intense, un entre-deux sensuel où les identités se révèlent fragiles et transitoires. Son travail a notamment été présenté à la Galerie Balice Hertling (Paris), au Frans Hals Museum de Haarlem (Pays-Bas), au Boston Center for the Arts (États-Unis) et au Bronx Museum of the Arts de New York (États-Unis). Elle est représentée par les galeries Balice Hertling et Antena Space (Shangaï).

Mathis Collins (1986, France) vit et travaille à Paris. Il a étudié à l’École Nationale Supérieure d’Arts de Paris-Cergy, puis à Bruxelles, Montréal et Metz, ainsi qu’à l’Open School East de Londres. Développant une pratique mêlant sculpture, performance et poésie, Mathis Collins travaille autour d’objets et de pratiques artisanales populaires dont il réinvestit le catalogue des formes au travers de l’expérience collective et d’une approche par l’absurde. Mathis Collins a présenté son travail au Palais de Tokyo (Paris), au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris, à la Friche Belle de Mai (Marseille), à la Rijksakademie (Amsterdam), à 1m3 (Lausanne) et à Longtang (Zürich).

Jean-Alain Corre (1981, France) vit et travaille à Paris. Une monographie récemment publiée autour de son travail invitait le lecteur à découvrir 11 Supers Épisoddes de Johnny, ce personnage qu’il a créé pendant ses études d’art à Lyon et qui, depuis, agit comme une matrice au cœur de sa production. Ainsi, qu’il s’agisse de peintures, de sculptures, de collages voire de performances, nous sommes avant tout conduits à suivre ses rêveries distraites, entre la piste de danse, l’usine et le supermarché. Les matériaux de l’art transforment ces expériences hallucinées en environnements hybrides, où se lit l’emprise d’un quotidien normalisé sur la construction des désirs individuels. Nommé au Prix Ricard en 2014, Jean-Alain Corre a notamment bénéficié d’une exposition personnelle à la galerie Thomas Bernard—Cortex Athletico, en 2015. En 2016, il a participé à la 5e édition de la Biennale d’art contemporain de Rennes, ainsi qu’aux expositions collectives organisées par le Palais de Tokyo «Double Je» à Paris et «Your Memories Are Our Future» dans le cadre de la Manifesta 11, à Zürich. En 2018, son travail a été montré en duo avec celui d’Anne Bourse à Pauline Perplexe (Arcueil). Un entretien fictif entre Johnny et Isa Genzken a été publié dans le №11 de la revue Initiales.

Than Hussein Clark (1981, États-Unis) vit et travaille entre Londres (Royaume-Uni) et Hambourg (Allemagne). Sa pratique artistique mêle aussi bien la performance, l’installation, que la vidéo et l’édition. Avec un goût pour l’architecture, la mise en scène et les arts décoratifs, il explore les codes et les esthétiques de la culture gay, les questions d’authenticité et de théâtralité. Il est l’un des membres fondateurs du Villa Design Group, un collectif de plasticiens et de performeurs développant un théâtre du design queer. Ses projets les plus récents ont été présentés à la galerie Crèvecœur (Paris), à Passerelle (Brest), à la Biennale de Liverpool (avec Villa Design Group), au MIT List Visual Arts Center à Cambridge (États-Unis) et au Frans Hals Museum de Haarlem (Pays-Bas). Than Hussein Clark est représenté par les galeries Crèvecœur (Paris), Mathew (Berlin et New York), VI, VII (Oslo) et Karin Guenther (Hambourg).

Cameron Jamie (1969, États-Unis) vit et travaille actuellement à Paris. À travers le dessin, la sculpture et la vidéo, Cameron Jamie s’intéresse aux aspects underground des banlieues états-uniennes. Développant un travail d’enquête sur les rituels vernaculaires et sur les subcultures, il révèle le rôle que jouent les mythologies quotidiennes et les rites collectifs dans la vie des zones périphériques de classes moyennes et populaires. Cameron Jamie a fait l'objet de nombreuses expositions et rétrospectives, notamment au Walker Art Center (Minneapolis), au MIT List Visual Arts Center à Cambridge (États-Unis), au Centre Pompidou (Paris), au Quai Branly (Paris), au MoMA (New York) et à la Kunsthalle de Zürich. Il est représenté par les galeries Kamel Mennour (Paris) et Gladstone (New York). 

Le CAC Brétigny est un équipement de Cœur d’Essonne Agglomération et bénéficie du soutien du Ministère de la Culture—Drac Île-de-France, de la Région Île-de-France et du Conseil départemental de l’Essonne, avec la complicité de la Ville de Brétigny-sur-Orge. Il est membre des réseaux TRAM et d.c.a. Le travail de Jean-Alain Corre bénéficie du soutien du Centre national des arts plastiques.

Documents

Agenda

  • Jeudi 31 janvier 2019, 17h-19h

    Futomomo

    Visite pédagogique

    Les enseignants de maternelle, du primaire et du secondaire, les animateurs, les éducateurs et les associations sont invités à découvrir les activités que nous proposons pour les groupes et les publics scolaires à travers une visite de l’exposition «Futomomo» suivie d’une collation.

    Réservation indispensable: reservation@cacbretigny.com ou +33 (0)1 60 85 20 76/78.

  • Samedi 2 février, 17h-21h

    Futomomo

    Vernissage de l'exposition et performance de Mathis Collins.

    Navette gratuite Paris-Brétigny. Rendez-vous à 17h au 104 avenue de France, 75013 Paris (métro Bibliothèque François Mitterrand. Réservation indispensable: reservation@cacbretigny.com.

  • Chaque mercredi, 14h30 et 16h30, et sur rendez-vous

    «La main dans le sac!»

    Atelier de pratique artistique

    À travers un atelier sensoriel,  les participants sont invités à toucher des objets étranges cachés minutieusement dans des sacs et à en deviner les contours pour pouvoir les dessiner et, qui sait, en deviner la nature. À l’issue de la séance, les objets sont sortis de leur cachette afin de se révéler à la vue des dessinateurs en herbe.

    A partir de 3 ans. Réservation indispensable pour les groupes: reservation@cacbretigny.com ou +33 (0)1 60 85 20 76.

  • Les samedis 16 février, 2 et 16 mars 2019, 15h-16h et sur rendez-vous

    «Totemomo»

    Atelier de pratique artistique en famille

    Chaque famille est invitée à créer un totem collectif à partir d’objets trouvés et récupérés, au préalable, chez soi. En s’inspirant des méthodes d’assemblage des artistes présentés dans l’exposition, les familles imagineront les moyens de composer une sculpture à partir d’objets domestiques.

    A partir de 3 ans. Inscription: reservation@cacbretigny.com ou +33 (0)1 60 85 20 76.

  • Jeudi 28 février, 15h-16h et mercredi 20 mars 2019, 16h30-17h30

    «Le petit alchimiste»

    Atelier de pratique artistique

    Les participants fabriquent un slime magnétique. À l’aide d’une recette simple, ils créent une pâte intelligente qui s’anime à l’approche d’un aimant: l’occasion pour eux d’observer les mouvements, les textures et les formes fascinantes que provoque le magnétisme sur la matière.

    A partir de 8 ans. Inscription: reservation@cacbretigny.com ou +33 (0)1 60 85 20 76.

  • Samedi 30 mars, 17h-20h30

    Futomomo

    Finissage de l'exposition en présence de Franck Balland, Kaori Kinoshita et Alain Della Negra

    Finissage de «Futomomo» avec une visite de l'exposition à 17h en présence du commissaire Franck Balland, suivie à 19h, d'une conférence-projection de Kaori Kinoshita et Alain Della Negra au Ciné 220 de Brétigny. Conférence déconseillée aux moins de 16 ans.

    CAC Brétigny & Ciné 220,  3 rue Anatole France, 91220 Brétigny-sur-Orge. Réservation indispensable: reservation@cacbretigny.com